"La coupure, la fissure et la pliure
Je vais ici poursuivre mon étude des fils et des traces en l'élargissant aux rapports qui existent entre les deux. Il existe toutefois une troisième~ grande catégorie de ligne, créée non par ajout ou par suppression de matière sur une surface, mais par des ruptures qui se forment à l'intérieur même des surfaces. Il s'agit des coupures, des fissures et des pliures. [...] Si la surface est malléable, on peut la plier sans la rompre, ce qui produit non pas des fissures mais des pliures. Les lignes qui se sont formées sur une page qu'on déplie après l'avoir retirée de son enveloppe sont des pliures, tout comme les lignes formées par les plis des rideaux, des tissus d'ameublement et des vêtements. De même pour les lignes qui creusent des rides sur le visage ou les mains, causées par les plis de la peau. Les lignes de la main peuvent être lues par des voyants qui ont le don d'interpréter et de prédire la destinée (figure 2.5). Pour le chiromancien, note Elizabeth Hallam, « la main est une carte visuelle de l'existence; elle représente le temps sous la forme d'un entrecroisement de plusieurs chemins, routes et aventures» (Hallam, 2002, p. 181). Cet exemple nous intéresse tout particulièrement pour deux raisons. La première est qu'il nous permet d'observer un parallèle entre la manière de « lire » du chiromancien et la conception médiévale de la lecture qui, comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, consistait avant tout à s'exprimer à voix haute, à aviser, et à expliquer des points qui seraient autrement restés obscurs. La deuxième raison tient à l'intimité du rapport qui existe entre les motifs de ces lignes-pliures et les gestes que la main a l'habitude de faire. En dehors de l'écriture et du dessin le geste aussi peut laisser une trace, en enroulant dans le creux de la main les lignes de vie qui s'expriment au dehors par les manières dont on conduit sa vie. "
Tim Ingold, Une Brève Histoire des Lignes, p68 - éditions Zones Sensibles